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La vie secrète de Dieu dans l’âme

 

 « Le moment présent est comme un désert où l’âme simple ne voit que Dieu seul.» (J.-P. de Caussade, 1861)

« Le moment présent est comme un désert où l’âme simple ne voit que Dieu seul.» (J.-P. de Caussade, 1861)

 

L’esprit de l’homme est un lieu « d’engendrement »

L’esprit de l’homme, en tant que « médium », est un lieu de passage, ou plus exactement « d’engendrement », un germe et une sève, par lesquels les régions divines et la Divinité elle-même, traversent l’écran des ténèbres matérielles assimilables au « non-être », afin que, par cette entrée – par, et dans le « non-être » -, elles surgissent dans l’être, et c’est en ce lieu négatif, quoique en un mode paradoxal puisque le visible y relève de la nuit et la nuit de la lumière invisible, et en nul autre, que s’effectue la génération du Verbe en une sorte de vertigineux et déroutant mode d’anéantissement où le risque est grand, de par la possibilité réelle de la perte radicale suite à une décision de « kénose » consentie[1] , « d’anéantissement », acte  suprême de dépouillement radical, faisant advenir la « Présence » dont  l’origine cachée témoigne de son éternelle et invisible source. 

Ainsi, ce que nous dévoile le mystère de la Croix, symbole d’anéantissement par excellence s’il en est, c’est qu’en réalité « Dieu » est en processus de création dans l’âme, en processus d’engendrement, se créant en nous pour être uni à l’âme dans laquelle il prend naissance. 

Et dans ce mystère, Dieu nous engendre comme son Fils – c’est-à-dire en tant que « Christ » -, et plus encore, ainsi que l’exprime magnifiquement Maître Eckhart, nous engendre comme « Soi » dans l’identité de sa nature, « comme soi, et soi comme nous, et nous comme son être et sa nature. » (Sermon 6, « Justi vivent in aeternum »). 

Ce que nous enseigne l’Incarnation sur le plan métaphysique, c’est la possibilité d’une transformation entière et complète de l’être, pour qu’il parvienne à la Réalité véritable, et devienne « Dieu » par engendrement, ou plus exactement laisse Dieu être notre être et nous son être dans une parfaite identité, comprenant ce qu’est la « Réalisation » et naisse à un nouvel ordre des choses, cette naissance, ou plus exactement cette « renaissance/ engendrement » ne nécessitant plus d’attendre une quelconque « Parousie » dans un hypothétique futur, puisque tout, absolument tout, est complet et parfait dans « l’éternel présent » de l’âme dans laquelle le Verbe est né. 

Il n’y a donc, « en Christ », c’est-à-dire dans le divin engendrement de Dieu dans l’âme, qu’un temps de toute éternité, il n’y a qu’un monde depuis toujours, il n’y a qu’une seule et unique dimension dans toutes les parties de l’espace créé visible et invisible, et ce temps, ce monde et cette dimension sont de nature spirituelle, non pas matérielle.

 

« En Christ », il n’y a qu’un temps de toute éternité, il n’y a qu’un monde depuis toujours

 

C’est ce qu’est venu enseigner le Christ, d’où son caractère radicalement et infiniment plus profond et plus ultime du point de vue métaphysique que le judaïsme et l’islam; « avant qu’Abraham fut Je suis » (Jean VIII, 58), « le Père est moi nous sommes Un » (Jean XVII, 21), faisant sauter les barrières entre l’âme et le divin, brisant les frontières de séparation entre l’incréé et le créé. Il n’y a donc, « en Christ », c’est-à-dire dans le divin engendrement de Dieu dans l’âme, qu’un temps de toute éternité, il n’y a qu’un monde depuis toujours, il n’y a qu’une seule et unique dimension dans toutes les parties de l’espace créé visible et invisible, et ce temps, ce monde et cette dimension sont de nature spirituelle, non pas matérielle. 

Ce que nous révèle le Christ, c’est qu’il n’y a pas de temps, pas d’autre lieu, tout est là en plénitude, la seule différence, c’est que la majorité vit au ciel sans le savoir, et que seulement quelques rares esprits, infiniment peu nombreux, les êtres « Réalisés », en ont conscience[2], ce monde n’est pas matériel, il n’est qu’Esprit, car s’il n’y a qu’un seul Créateur qui est Esprit Divin, par conséquent, Il ne peut pas avoir créé un monde matériel. Si Dieu ne l’a pas créé, il n’a pas été fait. 

« Ainsi, si Dieu n’a pas créé un corps matériel, il n’y a pas de corps matériel, il n’y a pas de matière, tout est Esprit. »

Angelus Silesius (1624-1677)

 

Le ciel est en toi et chercher Dieu ailleurs c’est le manquer toujours

 

Nous avons donc à faire notre séjour dans l’éternel présent qui est Dieu, car Dieu est « l’Éternel présent ». Une conséquence découle de cette extraordinaire révélation : « Si Dieu est un Éternel Présent (Ew’ges Num), qui empêche qu’il puisse, dès maintenant, être en moi tout en tout ?  »[3], conséquence qui s’accompagne, également, d’une souveraine leçon, en forme de rigoureuse discipline, qui d’ailleurs est la méthode même par laquelle il nous faut, impérativement, nous tenir, sentence que nous devons à Angelus Silesius (1624-1677) : 

« Arrête, où cours-tu donc, le ciel est en toi: et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours.  »[4] 

C’est pourquoi, nous sommes engagés dans une traversée, un « dépouillement » parce que l’âme doit entrer dans un regard nu, écartant toutes les images, les concepts, les idées, en se centrant de façon étroite et permanente sur la contemplation de « l’Un » pur, divin engendré qui nous engendre de toute éternité en tant que « Soi » : « Si l’âme contemple Dieu en tant qu’il est Dieu, ou en tant qu’il est Image ou en tant qu’il est trinitaire, il y a en elle un manque. Mais quand toutes les images de l’âme sont écartées et qu’elle contemple seulement l’unique Un, l’être nu de l’âme reposant passivement en lui-même rencontre l’être nu, sans forme, de l’unité divine, qui est l’être suressentiel . »[5] 

Ainsi, la façon dont Dieu est envisagé, est radicalement transformée, seul subsiste « l’Un-pur » dans lequel est écartée toute dualité, un « Un-pur » au sein duquel il convient de « s’abimer »: « Tu dois l’aimer en tant qu’il est un non-Dieu, un non-Intellect, une non-Personne, une Non-Image. Plus encore en tant qu’il est un «Un-pur», clair, limpide, séparé de toute dualité. Et dans cet « Un » nous devons éternellement nous abîmer : du quelque chose(iht) au néant(niht). »[6] 

Extraits de : Jean-Marc Vivenza, L’esprit du saint-martinisme. Louis-Claude de Saint-Martin et la « Société des Indépendants », La Pierre philosophale, 2020.

Notes :

1. « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Philippiens II, 6-8).
2. « La seule différence qu’il y ait entre les hommes, c’est que les uns sont dans l’autre monde en le sachant, et que les autres y sont sans le savoir : or voici, à ce sujet, une échelle progressive. Dieu est dans l’autre monde en le sachant, et il ne peut pas ne pas le croire et ne pas le savoir, puisque lui-même étant l’Esprit universel, il est impossible qu’il y ait pour lui, entre cet autre monde et lui, quelque séparation […] L’homme, quoiqu’étant dans ce monde terrestre, est bien toujours dans cet autre monde qui est tout ; mais tantôt il en ressent la douce influence, tantôt il ne la sent pas … » (Le Ministère de l’homme-esprit, 1802).
3. Angelus Silesius, Pèlerin chérubinique, Premier livre, § 133.
4. Ibid., (I, § 82).
5. Maître Eckhart, Predigt 83, trad. Ancelet-Hustache, in, Sermons, III, Seuil, 1979, p. 151.
6. Ibid.,p. 154.

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