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L’oraison intérieure en saint-martinisme

 

« La prière est la principale religion de l’homme … »

« Colloque divin, prélude des béatitudes éternelles, occupation continuelle des anges, la prière est vraiment la seule arme de triomphe que l’homme possède, le miraculeux remède contre les tribulations, la correction de l’âme, sa véritable fécondité, sa joie et son allégresse, le moyen de l’embrasement du Saint Esprit en nos cœurs. »

« Notre prière pourrait se transformer en une invocation active et perpétuelle»

Bien souvent comparée à la bienfaitrice rosée qui tempère les chaleurs de l’été et rafraîchit les corps, la prière, ce familier entretien avec Dieu, résorbe le feu dévorant de la passion qui s’empare de l’esprit. Respiration de l’âme, la prière obtient la grâce, elle est l’échelle de la Divinité par laquelle les hommes montent de la terre vers la sainte colline de Sion, et par laquelle, à leur tour, les anges descendent vers nous pour nous instruire et nous assister dans nos œuvres. Chaîne d’or qui rattache l’homme à Dieu, la prière est le fondement de la foi, elle délivre des ténèbres.

Saint-Martin emploie une très belle image évangélique, image qui fait référence à une promesse du Christ, lorsque le Seigneur nous indiqua qu’il serait présent au milieu de ceux qui seront assemblés en son nom, pour donner plus de force évocatrice à son instructif discours :

« La prière est la principale religion de l’homme, parce que c’est elle qui relie notre cœur à notre esprit ; et ce n’est que parce que notre cœur et notre esprit ne sont pas liés que nous commettons tant d’imprudences, et que nous vivons au milieu de tant de ténèbres et de tant d’illusions. Quand, au contraire, notre esprit et notre cœur sont liés, Dieu s’unit naturellement à nous, puisqu’il nous a dit quand nous serions deux assemblés en son nom, il serait au milieu de nous, et alors nous pouvons dire, comme le réparateur : mon Dieu, je sais que vous m’exaucez toujours. Tout ce qui ne sort pas constamment de cette source est au rang des œuvres séparées et mortes. » (La Prière, in Œuvres posthumes, réédition Collection martiniste, Le Temple du cœur, Diffusion rosicrucienne, 2001, p. 51.)

Dieu veut certes faire alliance avec l’homme, mais il veut que ce soit avec l’homme dépouillé, désencombré, vidé de ses souillures, dépossédé de ses impuretés, débarrassé de sa vieille écorce fétide et repoussante. Il souhaite que l’homme se soit lavé et baigné dans l’eau qui transforme, qu’il ait accompli le rituel des ablutions préparatoires à la réception de la grâce.

« Notre prière pourrait se transformer en une invocation active et perpétuelle, et au lieu de dire cette prière, nous pourrions la réaliser, et l’opérer à tout moment, par une continuelle préservation, et guérison de nous-mêmes. » (Louis-Claude de Saint-Martin, Le Nouvel homme.)

« La Sainte Présence du Verbe dans le cœur de l’homme »

Le sens propre de la prière du cœur, pour Saint-Martin, le fruit de l’oraison intérieure, est précisément situé dans l’accomplissement de ce quasi « envahissement » divin dont nous sommes l’objet, par la surprenante arrivée, dans notre fond, de l’Incréé, de ce qui dépasse tout entendement et toute raison, c’est-à-dire du Verbe éternel qui vient prononcer son inestimable Parole au centre de notre centre, dans ce Sanctuaire où seul doit régner le désir de Dieu.

Que nous découvre Saint-Martin qui soit si pénétrant et stupéfiant pour éprouver, à ce point, l’homme de désir, et le faire quelque peu chanceler ? Tout simplement, que lorsque « nous avons le bonheur de parvenir à ce sublime abandon, le Dieu que nous avons obtenu par son nom, selon sa promesse, ce Dieu qui se prie lui-même en nous, selon sa fidélité et son désir universel, ce Dieu qui ne peut plus nous quitter, puisqu’il vient mettre son universalité en nous, ce Dieu, dis-je, ne fait plus de nous que comme habitacle de ses opérations. » (Saint-Martin, La Prière).

« Lorsque tu voudras offrir ton sacrifice sur l’autel de la régénération spirituelle pour sanctifier ton être, le purifier, et le remplir des trésors de l’amour, implore le nom du fils, invoque le nom du fils, conjure le nom du fils, unis-toi au nom du fils, et ton cœur sera changé en une victime de consolations… » (Louis-Claude de Saint-Martin, Le Nouvel homme.)

« Nous avons une pleine liberté pour entrer dans le Sanctuaire»


« 
Par le moyen du sang de Jésus, nous avons une pleine liberté pour entrer dans les lieux saints, par le chemin nouveau et vivant qu’il nous a consacré à travers le voile… » (Hébreux 10, 19-22).

Depuis la venue du Christ, les ordonnances des antiques religions (païennes et judaïque) sont devenues caduques, elles ont été renversées par la lumière de la Révélation, l’ordre ancien est dépassé, l’homme n’a plus besoin d’un intermédiaire pour s’approcher du trône de la Divinité, Jésus Christ s’est chargé d’abattre les voiles (Matthieu 27, 51) qui nous séparaient du Sanctuaire : « La grâce de Dieu qui apporte le salut est apparue à tous les hommes » (Tite 2, 11).

Jésus, par sa mort, a purifié les hommes pécheurs : « Par une seule offrande il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés » (Hébreux 10, 14). En conséquence, la grande vérité, bouleversante et magnifique, que Saint-Martin voulut exprimer et proclamer à ses intimes, concernant l’entière consécration ministérielle de chaque chrétien par le Christ, n’est autre que la vérité de l’Ecriture elle-même ainsi que l’enseigne Paul : « Par le moyen du sang de Jésus, nous avons une pleine liberté pour entrer dans les lieux saints, par le chemin nouveau et vivant qu’il nous a consacré à travers le voile, c’est-à-dire sa chair, et puisque nous avons un sacrificateur établi sur la maison de Dieu, approchons-nous avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, les cœurs purifiés d’une mauvaise conscience, et le corps lavé d’une eau pure. » (Hébreux 10, 19-22).

Il ne fait donc aucun doute que l’homme, tabernacle sacré de la Sainte Présence, « est né pour être le principal ministre de la Divinité », comme il  nous est signalé dans le Ministère de l’homme-esprit, c’est pourquoi il nous faut nous agenouiller, en notre centre, pour y entendre prier celui qui doit, après y avoir pris naissance, irradier sur nous son incommensurable lumière. Notre prière, notre oraison pour Saint-Martin, doivent être des instruments de la génération divine, les humbles outils de l’agir divin, les fidèles intermédiaires de l’action du ciel.

« Cette arche sainte, engagera le grand prêtre de l’ordre de Melchisédech à te revêtir lui-même de tes habits sacerdotaux qu’il aura bénis auparavant,  il te donnera de sa propre main les ordinations sanctifiantes  par le moyen desquelles tu pourras, en son Nom, verser les consolations dans les âmes,  en leur faisant sentir par ton approche, par ton verbe purificateur,  et par la sainteté de tes lumières (…)  La vertu attachée à l’arche sainte te fera ouvrir les portes éternelles … » (Louis-Claude de Saint-Martin, Le Nouvel homme.)

« L’onction sacerdotale de l’homme-esprit»


Le nouvel homme, comme il est normal, aura d’abord du mal à entrevoir ce qu’entraîneront comme conséquences directes les opérations produites par sa prière active.

Il ne s’apercevra même pas, tant elles sont parfois insensibles et subtiles, des modifications significatives qui commenceront, lentement, à transformer son être et le travailler afin de le rendre conforme à la volonté de Dieu. Mais, alors même que rien ne le laissera supposer, « …au moment où nous nous y attendrons le moins, notre heure spirituelle arrivera, et nous fera connaître, comme à l’improviste, ce délicieux état du nouvel homme. C’est dans cette classe que sont choisis ceux qui sont destinés à administrer les sanctifications du Seigneur. » (Le Nouvel homme, § 20.)

Cette dernière phrase, loin d’être anodine, et bien plutôt d’une renversante portée puisqu’elle ne dit rien d’autre, formellement, que le nouvel homme, après être passé par les douleurs de la naissance, après avoir été béni par Dieu, est destiné à recevoir une sublime onction de nature sacerdotale qui en fera un prêtre de l’Eternel.

Or la réception de cette onction porte un nom particulier, elle est désignée par un mot précis que l’on n’évoque qu’en tremblant : ordinationEn effet, il s’agit bien, à cette étape fondamentale du cheminement, d’être « ordonné », consacré, sans aucune médiation humaine, en tant que prêtre du Saint Nom.

Saint-Martin nous le dévoilera d’abord discrètement sous la forme d’un entretien, d’une révélation privée du plus haut intérêt : « Tu m’as fait sentir que, s’il n’y avait point de prêtre pour ordonner l’homme, c’est le Seigneur qui l’ordonnerait lui-même et qui le guérirait. » (L’Homme de désir, 65.) Puis il n’hésitera pas à nous expliciter entièrement le sens et la valeur de cette ordination d’un genre inhabituel, ne ressemblant à aucune transmission classique telle que les hommes les accomplissent selon les vénérables, et souvent immémoriaux, principes de la Tradition.

En effet, nous sommes ici dans le cadre d’une communication absolument originale, d’une nature différente de toutes celles qui sont connues en mode humain, d’une consécration qui ne relève pas de procédés familiers. En réalité, si l’être a modifié son rapport au monde, s’il s’est éloigné des fausses lumières de la trompeuse apparence, il est alors devenu un étranger pour lui-même et pour les autres, il n’est plus dépendant des méthodes temporelles mais, au contraire, sous l’influence d’une opération proprement et entièrement Divine capable de le changer dans toutes ses facultés :

« L’homme qui, comme étant la pensée du Dieu des êtres, s’est observé au point d’avoir abandonné ses propres facultés à la direction et à la source de toutes les pensées, n’a plus d’incertitudes dans sa conduite spirituelle quoiqu’il n’en soit pas à l’abri dans sa conduite temporelle, si la faiblesse l’entraîne encore dans des situations étrangères à son véritable objet ; car dans ce qui tient à ce véritable objet, il doit espérer les secours les plus efficaces, puisqu’en cherchant à le poursuivre et à l’atteindre, il suit la volonté Divine, elle-même, qui le presse et l’invite de s’y porter avec ardeur.

Mais d’où lui vient cette manière d’être si avantageuse et si salutaire ? C’est que s’il parvient à être régénéré dans sa pensée, il l’est bientôt dans sa parole qui est comme la chair et le sang de sa pensée, et que quand il est régénéré dans cette parole, il l’est bientôt dans l’opération qui est la chair et le sang de la parole. (…) tout en lui se transforme en substances spirituelles et angéliques, pour le porter sur leurs ailes vers tous les lieux où son devoir l’appelle (…). » (Le Nouvel homme, § 4.)

Ainsi, l’ordination reçue, outrepassant toute mesure humaine, donne l’insigne privilège de pénétrer à l’intérieur du sanctuaire, elle rend possible le passage derrière le second voile du Temple. L’adepte peut alors entendre ces paroles surprenantes qui lui sont délivrées secrètement : « la vertu attachée à l’arche sainte te fera ouvrir les portes éternelles, et fera descendre sur toi quelques écoulements de ces influences vivifiantes dont se remplissent à jamais les demeures de la lumière. » (Ibid., § 16.) Or la mise en présence avec l’arche sainte n’est jamais anodine, c’est un acte dont la portée est souvent non totalement appréhendée dans toute sa dimension, même parmi les initiés et les êtres instruits dans certaines sciences.

Il importe, de ce fait, que soit clairement annoncé à l’élu le sens plénier de cette situation au sein de laquelle il ignore les conséquences ultimes de ce qui est en train de lui survenir.

« La naissance de Dieu dans l’âme »


Quel est, cependant, le sens de cette renversante ordination sacerdotale s’effectuant sans aucune médiation humaine,  s’accomplissant par l’effet d’une grâce dépassant nos faibles mesures temporelles, ordination, par un mystère qui nous est inaccessible, directement reçue des mains de Dieu ?

Quel est son objet propre, son but, sa vocation ? A quelle raison supérieure obéit-elle ?

Toutes ces questions, logiques et compréhensibles, reçoivent, de la part de Saint-Martin, une unique réponse que l’on peut formuler ainsi : Dieu nous confère une onction, une ordination, afin de disposer notre cœur à devenir le réceptacle de sa divine génération. Dieu veut nous sanctifier, nous purifier, de manière à pouvoir prendre naissance en nous, il désire surgir à l’être en passant par notre centre le plus intime : « Le Dieu unique a choisi son sanctuaire unique dans le cœur de l’homme, et dans ce fils chéri de l’esprit que nous devons tous faire naître en nous… » (Le Nouvel homme, § 27.)

Oui, Dieu cherche à s’engendrer en nous car, extraordinaire révélation, ce n’est que là, que dans notre pauvre cœur qu’il peut naître véritablement et en plénitude. L’homme est maintenant, depuis l’Incarnation, l’image de l’humble étable, le symbole de la misérable crèche que le Sauveur avait choisie pour l’accueillir lorsqu’il vint en ce monde. La perspective saint-martinienne, en son fond, en son essence, se révèle finalement comme une théophanie, une œuvre de génération de la présence divine, car Dieu, le Verbe, c’est substantiellement Dieu en l’homme, Dieu manifesté par l’homme, Dieu prononçant son Verbe en nous, c’est l’Emmanuel, le Fils aimé du Père surgissant des profondeurs de l’abîme insondable de notre être.

Si l’on y songe, de par l’accomplissement de la naissance du Verbe en nous, le Ciel ne se trouve plus à une infinie distance, il cesse d’être dissimulé derrière l’immensité des mondes visibles, il se déploie, ici même, dans notre temple intérieur, dans la chambre secrète, dans notre intime ; il est vivant par et dans notre cœur, réel dans notre âme et rayonnant dans notre esprit : « Oui , nouvel homme, voilà ce vrai temple où seulement tu pourras adorer le vrai Dieu de la manière dont il veut l’être (…). Le cœur de l’homme est le seul port où le vaisseau lancé par le grand souverain sur la mer de ce monde, pour transporter les voyageurs dans leur patrie, peut trouver un asile sûr contre l’agitation des flots, et un ancrage solide contre l’impétuosité des vents. » (Le Nouvel homme, § 27.)

Alors, à la seconde même où se produit la Naissance du Verbe en l’âme, il advient une Lumière ineffable, une source inconnue, par lesquelles « nous recevons en nous des multiplications de sanctification, des multiplications d’ordination, des multiplications de consécration... » (Le Nouvel homme, § 3.) Nous pouvons alors entendre résonner dans l’interne ces paroles splendides :

« O mon ami, allons dresser des autels au Seigneur ; va d’avance préparer tout ce qui nous sera nécessaire pour célébrer dignement les louanges de sa gloire et de sa majesté ; sers d’organe à mon œuvre pour l’annoncer au peuple, comme j’en dois servir à la Divinité pour annoncer à toutes les familles spirituelles les mouvements de la grâce, et les vibrations de la lumière. Et toi, Dieu de ma vie, s’il te plaît jamais de me choisir pour ton prêtre, que ta volonté soit faite ! Toutes mes facultés sont à toi. Je me prosternerai dans mon indignité en recevant le nom de ton prêtre et de ton prophète... » (Le Nouvel homme, § 3.)

« L’âme doit devenir le Temple du Seigneur »

Voici ce qui surviendra à celui qui aura laissé son âme devenir le Temple du Seigneur, à celui qui se sera rendu digne d’être visité par la semence Divine : il aura à féconder le germe de Dieu, la Parole inexprimée du Verbe, puisqu’il « faut que cette œuvre sainte s’opère en nous, pour que nous puissions dire que nous sommes admis au rang des sacrificateurs de l’Eternel » (Le Nouvel homme, § 16.)

Donnant la vie au Verbe de Dieu, à ce Fils nouveau-né « annoncé en nous par l’Ange », conçu en nous par « l’ombombration et l’opération de l’esprit », nous rebâtissons, concrètement, l’arche sainte, nous relevons le Tabernacle sacré de la Divinité, nous le replaçons au centre du Temple de Jérusalem réédifié « mystiquement », rétabli spirituellement sur ses bases en toutes ses structures et parties, nous l’installons solennellement, accompagné par la bienveillante présence de l’Ange du Très Haut, au centre du Temple secret à  tout jamais sanctifié de l’Eternel notre Dieu.

Telle est l’œuvre à accomplir pour les membres de cette « Société » pensée par Saint-Martin comme une Fraternité du Bien, une Société quasi religieuse, à savoir la Société des Frères, silencieux et invisibles, consacrant leurs travaux à la célébration des mystères de la naissance du Verbe dans l’âme ; cercle intime des pieux Serviteurs de YHSWHregroupés, selon le vœu même du Philosophe Inconnu, et afin de répondre à sa volonté initiale et première, en « Société des Indépendants », qui n’a « nulle espèce de ressemblance avec aucune des sociétés connues » (Le Crocodile, Chant 14.)

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